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EHESS : Mémoires européennes du Goulag

En 1970, Soljénitsyne évaluait à 10 millions le nombre de personnes passées dans les camps soviétiques ; aujourd’hui, les historiens parlent de 15 à 18 millions de détenus au total.

La parution de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne a marqué un tournant pour l’étude de ce sujet, parce que l’auteur ne s’est pas contenté de collectionner les témoignages, mais a mis en regard de chaque description les textes officiels soviétiques justifiant la mise en place, le développement et la diversification des camps, de sorte que les négationnistes habituels se trouvèrent dans l’impossibilité de traiter son ouvrage de pure calomnie, et durent se contenter de relativiser, voire de tenter de légitimer le Goulag.

Les historiens russes de MEMORIAL font appel aux témoignages des survivants pour reconstituer la vie dans les Goulags.

EHESS_Goussev_catherine.jpgL’autre débat historiographique concerne le nombre des victimes du Goulag. L’historien et le chercheur de MEMORIAL Alexandre Daniel affirme que, durant les Grandes Purges de 1937-1938, le nombre de détenus au Goulag avait augmenté de plusieurs millions, et que 5 à 7 millions de personnes avaient été victimes de la répression.

Grâce à l’ouverture des archives soviétiques, des données fiables existent pour la période du 1er janvier 1934 au 31 décembre 1947 : elles montrent que, dans l’ensemble des camps du Goulag, 963 866 prisonniers sont morts.

« On connaît aujourd’hui le nombre de fusillés entre 1917 et 1953 en URRS: 1 100 000 victimes (Parmi eux 740 000 victimes entre août 1937 et novembre 1938) », – continue Alexandre Daniel.

Ehess_Memorial.jpgEn 1970, Soljénitsyne évaluait à 10 millions le nombre de personnes passées dans les camps soviétiques ; aujourd’hui, les historiens parlent de 15 à 18 millions de détenus au total. Mais il faudrait aussi tenir compte des gens morts pendant le transport et des déportés hors-Goulag (les trains débarquaient les déportés et leurs gardiens armés en Asie Centrale et en Sibérie, avec des vivres pour quelques semaines, des pelles, des pioches et des scies, et l’ordre formel de s’installer et de rester là, non en camp, mais en construisant un village, sans condamnation ni peine (mais avec les encouragements du Parti). De son côté, le chercheur de MEMORIAL Alexandre Daniel indique que la grande majorité des personnes déportées dans les années 1930 étaient des innocents pris pour compléter les quotas de déportation, qui purgeaient, sauf exception, des peines de droit commun n’excédant pas cinq ans.

Il s’agissait d’une abondante main-d’œuvre gratuite pour les gigantesques chantiers de l’URSS. Le renouvellement considérable de la population des camps rend très difficile un bilan définitif.

Le premier Plan quinquennal donne le coup d’envoi de la collectivisation des terres. Les paysans russes résistent et Staline veut la liquidation des koulaks, les paysans aisés. En 1930-1932, 2,1 millions de paysans sont déportés dans des villages d’exilés.

Selon les chiffres du MEMORIAL, près de 6 million paysans ont été victimes de la collectivisation des terres.


Entre 1939 et 1953, près d’1 million d’habitants des territoires européens annexés par l’URSS au début de la Seconde Guerre mondiale, ou entrés dans la sphère d’influence soviétique à l’issue de cette guerre, ont été déportés au goulag : certains dans les camps de travail, la majorité comme colons forcés dans des villages de Sibérie et d’Asie centrale.

160 témoignages d’anciens déportés, des photos prises au cours de leur vie, des documents d’archives privées et publiques, des films, ont été recueillis par une équipe internationale de chercheurs. Nombre de ces témoins n’avaient jamais parlé auparavant.

A travers ces témoignages et ces documents, le musée invite ainsi à visiter ce pan d’histoire méconnu de l’Europe.


Les camps de travail et les colonies spéciales du goulag soviétique constituent une expérience européenne et pas seulement russe. Il existe dans les pays qui ont récemment rejoint l’Union européenne, une mémoire et un héritage ignorés ailleurs en Europe. Cette expérience devrait désormais faire partie de la mémoire en construction de l’Europe toute entière.

Coordonnée par le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC), en coopération avec Radio France Internationale (RFI), une équipe européenne de chercheurs, anthropologues, géographes, historiens et sociologues, est partie à la recherche de documents d’archives, de témoignages de survivants, d’objets et de documents personnels liés à la déportation en Union soviétique de citoyens appartenant aux pays de l’Europe centrale et orientale annexés, occupés ou « libérés » par les Soviétiques avant et après la Seconde Guerre mondiale.

Ehess_Goulag.jpgNous avons enregistré 160 témoignages dans leur pays d’origine, en Allemagne, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, République tchèque et Ukraine, ou dans les pays où ils sont allés après leur libération, comme l’Italie, la France et l’Angleterre. Nous sommes aussi allés en Sibérie et au Kazakhstan retrouver ceux qui sont restés là où ils avaient été déportés.

Ce sont tous ces matériaux que nous mettons à disposition dans le musée virtuel « Archives sonores. Mémoires européennes du Goulag», qui sera accessible à partir du vendredi 11 mars 2011. Nous cherchons à préserver les histoires de vie de nos témoins, tout en reprenant autour d’un ensemble de thèmes les moments forts communs à nombre d’entre eux. En combinant des salles thématiques et biographiques, des approches cartographiques et chronologiques, nous souhaitons notamment mettre en valeur les parcours des témoins et souligner la relation entre histoire de vie et événements historiques.

Ehess_goulag_polonais.jpgÀ l’occasion de l’ouverture de ce musée virtuel, nous organisons une rencontre avec Teodor Shanin, actuellement président de l’École de sciences économiques et sociales de Moscou (MSSES) et professeur à l’université de Manchester, qui fut déporté à Wilno (Vilnius) en URSS en juin 1941, à l’âge de onze ans (cf. courte biographie ci-dessous). Cette rencontre, suivie par la présentation publique du musée virtuel, aura lieu vendredi 11 mars à l’EHESS.

Ce projet a reçu le soutien de l’Agence nationale de la recherche. Il est mené par le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen en collaboration avec Radio France Internationale, le Centre Marc Bloch (Berlin), le Cefres (Prague), le Centre franco-russe de recherche en sciences sociales et humaines (Moscou). Alain Blum et Marta Craveri en sont les coordinateurs, avec Valérie Nivelon pour RFI.


Archives et témoignages : contribution à une histoire des déportations de l’Europe centrale et orientale vers l’URSS, 1939 – 1960

Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag est un projet
– soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche,
– coordonné par le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen,
– en coopération avec Radio France Internationale,
– le cout total du projet : 210 000 euros,
– Il s’agit de 160 témoignages, des personnes âgées désormais de 75 à 94 ans, envoyées dans les camps et les villages de Sibérie et du Kazakhstan entre 1940 et 1949, lorsqu’elles étaient enfants.

PROGRAMME:

Jeudi 10 mars 2011 : 9h30 – 17h30
INED, 133 boulevard Davout – 75020 Paris, salle Alfred Sauvy

– 9h30 Accueil et Introduction
– 10h00 – 11h00 Emilia Koustova (Université de Strasbourg) : Les déportés vus depuis la Sibérie: au croisement des entretiens et des sources d’archives
– Marc Elie (CNRS, CERCEC) : Ukrainien et Soviétique ou Ukrainien tout court? Parcours de jeunes Ukrainiens à leur retour en Ukraine occidentale
– 11h00 – 12h00 Juliette Denis (Université Paris Ouest, IHTP) : Du territoire aux flux de population : l’apport des récits de déportation pour l’histoire de la soviétisation de la Lettonie
– Jurgita Mačiulytė (Université de Vilnius) : Analyse géographique des territoires de déportations
– 12h00 – 13h30 Déjeuner
– 13h30 – 14h30 Agnieszka Niewiedzial (CERCEC, EHESS) : Trajectoires de « retour » de déportation et d’intégration des citoyens polonais
– Anne-Marie Losonczy (EPHE, IRIS) : Parole, récit et silence enregistrés. Quelle mémoire, quelle histoire?
– 14h30 – 15h30 Larissa Salahova (Université pédagogique d’Irkoutsk) : Présence de la déportation et des déportés dans les récits sur la vie quotidienne des années 1940-1960 en Sibérie
– Anastasia Gorelik (CERCEC, EHESS) : Une correspondance triangulaire: écrire entre lieu d’origine, camp et lieu de déportation
– 15h30 – 16h00 Pause
– 16h00 – 16h30 Dalius Žygelis (Centre de recherches sur la résistance et le génocide de la population de la Lituanie, Vilnius) : Le programme « Mémoire vivante » au Centre de recherches sur la résistance et le génocide de la population de la Lituanie.
Ehess_Goulag_colloque_mars2011.jpgAfin que jamais l’horreur des camps de travail sibériens ne soit effacée de la mémoire de chacun, un goulag a été reconstitué en Lituanie sur le NET: bernardinai.lt :
– 16h30 – 17h30 Discussion et conclusion : Catherine Gousseff (CNRS, Centre Marc Bloch, Berlin)

Vendredi 11 mars 2011 : 10h00 – 12h30
CERCEC, 44 Rue Amiral Mouchez, 75014 Paris, salle de réunion du 5ème étage

– 10h00 – 11h30 :
– Alain Blum (INED et EHESS) et Marta Craveri (CERCEC) : Raconter et transmettre : récits d’enfance, récits d’une vie
– Irina Flige et Alexandre Daniel (Mémorial, Saint-Pétersbourg) : Ehess_Memorial_Flige_Irina.jpgPrésentation du musée virtuel du goulag : http://gulagmuseum.org
– Sophie Nagiscarde et Isabelle Plichon (Mémorial de la Shoah) : Les expositions virtuelles du Mémorial de la Shoah
– 11h30 – 12h30 Discussion et perspectives
– 12h30 – 14h00 Déjeuner

Vendredi 11 mars : 16h45 – 19h00 à l’amphithéâtre de l’EHESS
105 Bd Raspail, 75006 Paris

– A l’occasion de l’ouverture du Musée virtuel Archives Sonores – Mémoires européennes du Goulag, rencontre avec Teodor Shanin a présenté le témoignage de sa déportation de Vilnius vers l’URSS en juin 1941.

Courte biographie de Teodor Shanin

Un jour de juin 1941, alors que les Allemands se rapprochent de Vilnius, capitale d’une Lituanie soviétique depuis peu, un officier du NKVD, accompagné de soldats, arrive au domicile de Teodor Shanin, pour arrêter sa famille en raison de leurs origines sociales.

Teodor a onze ans, il se trouve là avec ses parents et sa petite sœur de quatre ans. L’officier a cependant un geste étonnant : il leur dit que, compte-tenu des contrées difficiles où ils allaient être déportés, il fermerait les yeux s’ils laissaient la petite sœur à quelqu’un. Ce qu’ils firent, en la confiant au grand-père.

Juozas Eidikavicius

Le père est condamné aux travaux forcés et envoyé dans un camp en Sibérie. Teodor et sa mère commencent alors un long voyage de déportation dans divers villages, depuis les montagnes de l’Altaï jusqu’à Samarcande. Son père, une fois libéré des camps, les rejoint et, la guerre finie, Teodor quitte le pays en passant par Vilnius pour rechercher sa sœur. Il ne la retrouve pas. Elle a subi le sort de tous les Juifs de Vilnius et été fusillée très vite après l’arrivée des Allemands dans la ville.

Teodor part alors en Pologne, qu’il fuit rapidement, en raison des violences antisémites. Il rejoint la France, Israël, puis l’Angleterre où il devient professeur d’université et l’un des plus grands spécialistes de la paysannerie russe. Dès le début de la perestroïka, il enseigne en Russie, tout en continuant son travail en Angleterre.

EHESS : Mémoires européennes du Goulag

par | 11 Mar 2011 | 1 commentaire

1 Commentaire

  1. Joseph Kirszenberg

    EHESS : Mémoires européennes du Goulag
    L’intention est louable. Néanmoins il s’agit non pas d’anciens Zeks, mais de « spietspieriesielientsy » – personnes déplacées qui n’ont rien à voir avec le Goulag. Pour la comparaison entre le Goulag et le « Spietspieiesielienije » voir le livre : « ENTRE HITLER ET STALINE – de J. Kirszenberg, Editions l’Harmattan.
    . J. Kirszenberg

    Réponse

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