Rostov-le-Grand

Seulement deux villes de l’ancienne Russie portaient le qualificatif de «grande». La première était Novgorod, la seconde Rostov. Déjà au XII siècle Rostov
s’étendait sur la rive du lac Néro, mais avant même l’arrivée des Slaves il existait à cet emplacement une grande agglomération ougro-finnoise: et pendant
longtemps une banlieue de Rostov fut désignée coin tchoude, c’est-à-dire «le quartier des étrangers».

A Rostov, ville riche et commerçante, il y avait une assemblée du peuple (en russe vétché) et ses habitants reconnaissaient sans enthousiasme le
pouvoir princier. Ils avaient encore moins de sympathie pour le christianisme, qui leur était imposé. En 1073 un évêque trop zélé, Léonti, fut assassiné et pendant plus de 70 ans l’Eglise hésita à le remplacer. Le
grand-prince Andréï Bogolioubski réussit à maîtriser ses sujets épris de
liberté, mais lui aussi craignait de vivre dans cette ville qui était pourtant
la plus riche et la plus importante de toute sa principauté. En 1162 le prince
fit ériger dans la ville la cathédrale de la Dormition en pierre blanche. Bien
que remaniée à plusieurs reprises la cathédrale a conservé ses fondations
primitives, les parties inférieures des murs et même quelques fragments de
fresques du XIIe siècle.

Avant
d’arriver à Rostov, environ à une dizaine de kilomètres en venant de Moscou,
la ville offre un panorama d’une beauté unique: de gros nuages dans un ciel qui
est rarement pur, la surface gris de plomb des eaux du lac. Le lac était
profond et servait de passage à de gros navires qui allaient sur la Volga par
la rivière Kotorosl. De l’autre côté du lac se trouve le groupe pittoresque
des églises: on distingue les coupoles argentées de la cathédrale de la
Dormition. le kremlin d’un blanc éclatant, l’ensemble plus récent du
monastère du Sauveur-Iakovlievski et même au loin on aperçoit le vieux
monastère d’Abraham. Juste à l’entrée de la ville, au bord de la rivière
Ichna se dresse la merveilleuse chapelle en bois de Saint-Jean-l’Evangéliste:
c’est aujourd’hui le dernier édifice cultuel en bois dans la région de
laroslavl.

A Rostov, il y a avant tout le kremlin qui servait jadis de résidence au
métropolite. L’or et l’argent de ses toits, de ses coupoles et de ses croix
ajourées resplendissent au soleil. Il y a quelques années il n’aurait pas
été possible de voir toutes ces merveilles. En effet en août 1953 un ouragan
endommagea la ville, arrachant les arbres et balayant les toits des maisons
comme des feuilles mortes. Toutes les églises de Rostov furent décapitées,
défigurées. Et c’est grâce au travail rapide des restaurateurs que nous
pouvons à nouveau nous émerveiller devant les églises de Rostov.

La
plupart des constructions du kremlin datent de la fin du XVIIe siècle et furent
élevées au cours d’une vingtaine d’années. Elles furent financées par le
métropolite de Rostov. Jonas Syssoïévitch. qui était très riche. Jonas fit
appel aux meilleurs artisans tailleurs de pierre et peintres de l’époque.
L’enceinte d’un kilomètre de longueur et ses onze tours n’ont pas de valeur
défensive: les vraies forteresses étaient tout autres en cette fin du XVIIe
siècle. Mais les largesses du «maître spirituel» de la ville accrurent son
autorité. Les murs élevés avaient cependant une application pratique: ils
protégeaient les trésors des églises.

Initialement dans le kremlin se trouvaient trois bâtiments en pierre: le
palais du clergé, le palais princier et la demeure du métropolite. On y ajouta
quatre églises et trois palais. La maison du métropolite fut remaniée et on
aménagea une série de passages par lesquels on peut encore aller de maison en
maison, sans avoir a descendre au niveau du sol.

La première des quatre églises, celle de la Résurrection, fut construite
en 1670 au-dessus de l’entrée principale du monastère, face à la cathédrale
de la Dormition. Elle a un soubassement élevé, cinq coupoles et des zakomary,
c’est-à-dire des toitures voûtées, et ici de forme pointue caractéristique
des églises construites par Jonas, qui forment un toit à 24 pentes. La
deuxième, érigée en 1683 sur un ancien portail pratiqué dans le mur ouest de
l’enceinte, est celle de Saint-Jean-l’Evangéliste. Elle ressemble beaucoup à
l’église de la Résurrection, mais en plus élégant. Ces deux églises sont
flanquées de tours rondes terminées en cube: les toits de ces tours sont
recouverts d’écaillés en tremble. Le tremble sous l’effet de l’air, acquiert
très vite une couleur gris argenté et un aspect satiné. Les toits de ce type
sont très beaux et relativement durables. L’oratoire privé du métropolite,
l’église du Sauveur-sur-1’Entrée (en russe Spass na Séniakh), est la
troisième. Elle est surmontée d’une petite coupole dorée. L’extérieur est
très modeste: toit à 8 pentes, une ceinture de petites arcades sur les murs et
des pilastres à peine visibles. Par
contre l’intérieur est plus riche que dans les autres églises. Seulement un
tiers de l’espace est réservé aux fidèles. La petite plate-forme de l’ambon
(partie du sanctuaire où officie le prêtre) est surélevée de huit marches et
l’autel est encore plus haut. Le tout est surmonté d’arcatures à clefs
pendantes. Les fresques ont été exécutées par des artisans locaux.
L’iconostase dans les trois églises est une cloison en pierre contrairement à
l’usage qui était de les construire en bois. Le sanctuaire de l’église de
Saint-Jean-l’Evangéliste est très bas: en effet, tout près de là le Beau
Palais servait de résidence aux hôtes de marque et il était inconvenant pour
le métropolite de se trouver au-dessus de leur tête. L’église de la
Résurrection et celle de Saint-Jean-l’Evangéliste ont été décorées par des
peintres célèbres: Gouri Nikitine et Sila Savine de Kostroma et Dimitri
Plékhanov de Péréslavl-Zalesski. Les fresques abondent en tons bleus:
c’était alors la couleur la plus chère et le métropolite qui n’hésitait pas
à la dépense voulait montrer sa richesse et sa générosité.

La quatrième église, celle de Saint-Grégoire-le-Théologien. est située
en dehors de l’enceinte. Elle se dresse à l’emplacement de l’ancien monastère
de Saint-Grégoire dans lequel fut transféré en 1214 le premier établissement
d’enseignement supérieur de la Russie du nord-est.

Le Beau Palais et le Palais Blanc, récemment restaures et qui comptent parmi
les rares édifices civils de l’Anneau d’Or, ainsi que le campanile qui se
dresse à côté de la cathédrale de la Dormition. complètent merveilleusement
l’ensemble du kremlin.

L’église du Sauveur dans le quartier du commerce (Spass na torgou)
est à côté du kremlin. Actuellement on y dégage des fresques très
intéressantes de la fin du XVIIe siècle. Un peu à l’écart de la ville se
dresse l’église de Saint-Isidore qui date du temps d’Ivan le Terrible. Malgré
de nombreux remaniements, aussi grossiers que maladroits, elle a retrouvé,
grâce aux restaurateurs soviétiques, son aspect primitif.

Le monastère de Saint-Abraham, est fondé à l’emplacement d’un temple
païen au dieu du bétail Vêles. Puis viendra le tour du monastère du
Sauveur-Iakovlievski qui possède aussi une église élevée par Jonas
Syssoïévitch et l’église du Sauveur-sur-les-Sables (Spass na peskakh),
vestige d’un monastère fondé par la princesse Marie, la première et
peut-être la seule femme auteur de chroniques. Elle eut pour mari le prince
Vassilko de Rostov qui périt torturé par les Tatars en 1238. C’est à sa plume
que nous devons les nécrologies des princes russes tués pendant les dures
années de la domination tatare.

D’autres
femmes remarquables de Rostov sont entrées dans l’histoire: les princesses
Daria Rostovskaïa et Antonina Poujbolskaïa. Vêtues en soldats elles
combattirent vaillamment à la bataille de Koulikovo en 1380, bataille où le
prince Dimitri Donskoï battit les Tatars. Au XVIIe siècle le même exploit fut
réalisé par Irina Lougovskaïa, femme de Moussine-Pouchkine. Le nom de la
«princesse érudite» était célèbre jusqu’à Londres et Amsterdam. Les
étrangers qui avaient l’occasion de lui parler considéraient que c’était un
grand honneur. Elle avait dans sa jeunesse failli être la femme du tsar Alexis
Mikhaïlovitch, mais la petite noblesse de son père l’en empêcha. Après quoi
pour ne pas être donnée en mariage à un vieux seigneur, elle s’enfuit après
avoir écrit à celui qui allait devenir son mari: «Si tu m’aimes, viens à mon
secours». Et c’est à ses côtés que le soi-disant jeune frère de
Moussine-Pouchkine fit la guerre. Veuve très tôt, elle vécut à Rostov où
elle collabora avec Jonas Syssoïévitch à la construction du kremlin. Elle
donna aux ouvriers une Bible de Piscator dont les illustrations les
influencèrent beaucoup: les traces de cette influence se retrouvent dans les
fresques des églises de Rostov. Cette femme admirable collectionnait les livres
anciens et les chroniques. Elle sut faire partager à son fils son amour pour
l’histoire de la Russie et celui-ci continua d’amasser des livres pour la
bibliothèque familiale qui fit partie de celle de son petit-fils Alexandre
Ivanovitch, le plus célèbre des membres de cette famille d’érudits.

Rostov-le-Grand

par | 1 Jan 2000 | 0 commentaires

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dans la même rubrique…

La cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou

La cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou

Détruite dans les années 1930 sur ordre de Staline pour y construire une immense piscine ouverte, la Cathédrale du Christ-Sauveur est reconstruite après la chute du communisme.

Croisières fluviales en Russie

Croisières fluviales en Russie

Propices à l’émerveillement et au romantisme, les bateaux de croisière sont aujourd’hui de véritables centres de villégiature flottants où vous serez à même de vivre une expérience exaltante et riche d’aventures au hasard des destinations que vous aurez la chance de découvrir.

Galerie Tretiakov

Galerie Tretiakov

Fondée à partir de la collection privée du marchand Pavel Tretiakov, autodidacte qui a rassemblé la plus grande collection de peinture russe de l’époque, 1287 toiles, dont il fit cadeau à la ville de Moscou en 1892, la Galerie Tretiakov réunit aujourd’hui plus de 130.000 œuvres.

La Douma d’État

La Douma d’État

L’Assemblée fédérale (Douma et Conseil de la Fédération) est un organe fonctionnant en permanence. Le droit d’initiative appartient au Conseil de la Fédération et à ses membres, concurremment avec le Président de la Fédération, les députés, le Gouvernement de la Fédération, les organes législatifs des sujets de la Fédération.