Sur la station intersidérale Solaris, un ingénieur, envoyé pour remplacer un fonctionnaire qui s’est suicidé, pense avoir affaire à une forme de conscience non humaine. Il s’agit bien entendu d’une fable, et la force de Tarkovsky est d’être toujours parvenu à trouver « la forme juste » pour toutes les étapes de sa réflexion. « Solaris » pose le problème du divorce science-conscience. Tarkovsky distend indéfiniment le temps de la fiction et la durée des séquences, portant la progression des personnages à une quasi-immobilité, discursive et pragmatique.
Solaris est gouverné par deux incompréhensions. L’être humain est non seulement incapable de comprendre l’univers, mais il est également incapable de se comprendre lui-même, d’analyser posément ses émotions. A partir du matériau original, le roman de Stanislas Lem, Tarkovsky explore ces deux thèmes et les développe. Nous suivons la vision et les luttes internes de Kris Kelvin, bercé entre le désir de reconstruire un amour perdu avec la femme qu’il a aimé et qui s’est suicidé et la répulsion de cette résurrection impossible. Peu à peu, il perçoit le désir de communication de l’entité intelligente qui gouverne la planète Solaris, capable de modifier imperceptiblement la révolution de la planète autour de ses deux astres solaires.
La lenteur du récit, le découpage en deux parties bien distinctes Terre/Solaris, l’absence totale de sensationnalisme (on ne voit que la surface de Solaris), les « apparitions » des autres protagonistes à peine suggérées (visibles à peine quelques secondes), la concentration de l’action sur un seul personnage (le dilemme de Kelvin science-réalisme/amour-nostalgie) et l’antagonisme des scènes sur Terre et sur la station orbitale participent à l’ambiance incomparable du film. On a longtemps voulu en faire un 2001, l’odyssée de l’espace, version russe, rendons une fois pour toute hommage à l’œuvre de Tarkovsky. Une ode à la communication, la première rencontre extra-terrestre « adulte » de la science-fiction.
La production de Solaris a commencé peu après la sortie d’Andreï Roublev, pour une sortie cinéma en 1972. D’emblée, le film est considéré comme la réponse des pays de l’Est à 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Malheureusement, la comparaison ne tourne pas à son avantage, beaucoup de critiques portent sur la lenteur et le manque de visions de l’avenir du film. Le huis-clos quasi analytique de Tarkovsky déplaît, car beaucoup s’attendaient à une débauche d’effets spéciaux à la Kubrick.
L’idée d’une planète pensante qui a la capacité de puiser dans les pensées humaines catalyse les questionnements du réalisateur : la nostalgie, la fidélité, la culpabilité, les transformations morales devant un événement inconnu… Il déclarait à la sortie du film : » Les pensées profondes du roman n’ont rien à voir avec le genre de roman de science-fiction pour lequel il est écrit, l’amour peut se déplacer dans n’importe quel contexte ».
Tarkovsky part du roman de Lem en faisant de Kelvin le personnage central de l’histoire, nous le suivons torturé par l’envie d’aimer cette apparition impossible et le désir de repousser l’inavouable. Une séquence incroyable montre Khari, l’apparition-neutrino femme de Kelvin, scrutant les moindres détails d’une œuvre de Pierre Brueghel » Chasseurs dans la neige « , comme pour mieux s’imprégner des images qu’elles n’a jusqu’alors jamais eues.
- Production : MOSFILM
- Pays de production : U.R.S.S.
- Produit en 1972
- Durée : 170 mn
- Interprétation : BONDARTCHOUK, Natalia – DANIONIS, Donatan – GORINKO, Nicolai –
YARVET, Youri - Scénario : Andrei TARKOVSKY d’après
LEM, Stanislaw - Photographie : JUSOV, Vadim. Musique : MIEV, Edouard.
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